“Un pont sur mon chemin”
Birshan est un sabathéen malchanceux. Définitivement. Sa constitution chétive l’a immédiatement conduit à embrasser la carrière de voleur qui a fini par le conduire dans les geôles de Nabatu. Pour couvrir les frais, la cité l’a vendu à des marchands d’esclaves Ithaque. Depuis un peu plus d’un an, il est enchaîné avec trois autres individus.
Eux non plus n’ont pas trop de chance. Titi est une érèbe maigrichonne à qui la vie d’esclave ne réussit pas du tout. Birshan a cru comprendre qu’elle était là à cause d’une histoire de fesses mais il la croit surtout folle. Elle aurait égorgé un homme pour l’offrir à la Lune peu de temps avant d’être vendue. La nuit, elle convulse parfois et lévite même à quelques centimètres au-dessus de sa couche. Birshan en est sûr mais il compte bien garder ça pour lui. Il n’a pas envie de goûter plus que nécessaire à la morsure du fouet.
Ahxy est un voïvoche au teint blafard. Il semble robuste. Cela doit venir de sa jeunesse de baroudeur et des batailles qu’il a livrées contre les pirates de la mer des colosses.
Le dernier de ses compagnons se nomme Azlan. C’est un sarmathe silencieux que les ithaques ont capturé en chemin.
Après un an de route, de travail et de peine, il est temps pour les esclaves de regagner Argös. Les esclavagistes connaissent un raccourci au travers des Montagnes noires pour éviter à la fois les cimmériens, assez hostiles à l’esclavage, et les les shâmarites, qui pourraient se montrer, eux, un peu trop intéressés.
Les esclavagistes retirent donc les vêtements de leurs captifs pour ne leur laisser qu’une mince couverture. Dans les montagnes enneigées, ils seront obligés de se blottir les uns contre les autres et ne pourront pas s’enfuir. De plus, cela permettra de se débarrasser des moins forts qui consomment des vivres aujourd’hui mais qui ne rapporteront rien sur les marchés d’Argös. Cette malheureuse option semble d’ailleurs être celle qui guette l’érèbe.
Seulement Birshan est un sabathéen malchanceux comme nous le savons. C’est donc en plein cœur de la montagne glacée qu’une bande de pillards pictes met fin aux projets de fortune des esclavagistes ithaques. Le chariot cage de Birshan et de ses compagnons de chaîne et renversé et détruit et les voilà tous les quatre, enchaînés et nus, en train de courir dans une forêt écrasées par la nuit, les pieds nus dans la neige.
Après une heure de course, à bout de force, ils atteignent par miracle un petit village de cimmériens des montagnes, probablement violents et consanguins, dans lequel ils trouvent une remise miteuse qui contient assez de paille pour passer une nuit presque au chaud.
En ouvrant un œil un peu avant l’aube, ils découvrent quelques outils de bronze, des cordes, des caisses en bois, bref, rien de concluant. Les femmes du village se lèvent peu à peu pour raviver le feu dans leur foyer respectif et attaquer les tâches ménagères. C’est au milieu de ce ballet silencieux que Ahxy aperçoit l’une de ces ombres ouvrir un gros coffre en bois dans lequel elle range les couvertures chaudes qui lui ont permis de dormir au chaud.
Seul Birshan ne souffre pas d’hypothermie et c’est donc lui qui va aller ouvrir la fenêtre, le coffre et s’emparer des couvertures. Le problème c’est qu’il est toujours enchaîné à ses compagnons d’infortune et qu’il va devoir opérer dans des conditions difficiles. Mais le voleur réalise un exploit et s’empare sans se faire voir de quatre peaux bien chaudes. Ahxy vient de repérer une forge et propose à Birshan de tirer encore un peu sur le fil de sa chance. Et celle-ci fonctionne encore une fois à plein régime puisqu’il il parvient à ouvrir la porte sans difficulté.
Fous de joie, les évadés utilisent les outils rudimentaires à leur disposition pour se séparer de leurs entraves avant de se rapprocher du reste de braise qui finit de s’éteindre dans l’atelier. Tout à leur modeste plaisir, ils n’ont pas vu arriver le forgeron. Azlan tente de négocier son silence avec le don des chaînes massives dont ils n’ont plus l’utilité et parvient à l’amadouer quelque peu. L’homme leur sert une gnôle revigorante qui améliore leur condition à tous exceptée Titi qui est toujours aussi mal en point.
Le forgeron leur propose alors de leur offrir à chacun une paire de bottes en échange du meurtre de son voisin qui entretient avec sa femme ce qu’il pense être une relation secrète. Une paire de bottes est l’équivalent d’un trésor et les quatre esclaves en fuite s’approchent sans hésiter de la maison indiquée. L’homme est en train de se préparer à couper du bois. Le village s’éveille à peine et il est encore quasi désert. Ce voisin matinal va comprendre que l’avenir n’appartient pas toujours à celui qui se lève tôt. Attendant le moment inévitable où la hache va venir se coincer dans une bûche, les quatre étrangers lui tombent dessus par surprise et le massacrent avec les outils qu’ils ont pris dans la forge. C’est un carnage que Titi essaie de camoufler pendant que ces camarades donnent le corps aux cochons de la maison.
De retour à la forge, ils sont accueillis à bras ouverts et reçoivent les paires de bottes promises. Afin d’attendre que les choses se calment, le forgeron les embauche pour trois jours et les logent dans la forge. Au terme de ce laps de temps, Titi va mieux et ils ont tous des vêtements simples, des manteaux façonnés dans les couvertures volées et une épée et une hache volées sur le cadavre du voisin.
Le forgeron leur a appris que son neveu, Vanar, est assistant du fossoyeur et qu’il s’inquiète de la disparition de cadavres. Voilà une occasion de gagner sa vie en attendant que le col ne dégèle! Allant constater les faits sur place, ils apprennent que la situation est plus compliquée qu’il n’y parait. Des villageois sortis pour relever des collets ou pour couper du bois ne sont pas revenus. Le village produit du thé de lotus bleu pour le vendre dans les vallées, mais le dernier convoi a été attaqué et pillé. Le dernier survivant de l’escorte, un certain Auris, affirme que ce ne sont pas des pictes mais bien des mercenaires entraînes qui les ont attaqués.
Les quatre étrangers vont se présenter au bourgmestre. Titre présomptueux pour un chef de clan minable mais il est a l’image du gros lard qui le porte. L’homme, qui se présente sous le nom de Vadim, est ravis de voir du sang neuf et voit dans cette opportunité l’occasion de régler les problèmes du village. Aussi propose-t-il le gîte et le couvert à ses invités avant de leur indiquer le chemin qui les mènera à la cabane de leur sorcier lorsque Titi le lui demande.
Il faut marcher une heure pour aller trouver l’homme dont les yeux ont été brûlés, selon la coutume cimmérienne, et la bouche cousue selon une lubie que lui seul doit connaître. Sur la route, Azlan et Ahxy remarquent les traces fraîches d’un campement. Il est placé de façon idéale pour observer le village duquel l’endroit offre une vue plongeante. Choisissant d’y revenir plus tard, ils décident de se concentrer sur le sorcier.
Ce dernier vit dans un taudis et ne leur parle que par énigmes. Il explique malgré tout que la présence d’un sorcier dans les environs est plus que probable au vu des événements et leur annonce au passage que, lorsqu’ils seront de retour au village, Auris, le survivant du convoi de lotus bleu, sera mort. Il leur parle aussi d’une vieille rivalité qui oppose leur village à celui de Rabalet pour le contrôle d’un pont à péage et du fortin qui le garde.
De retour au village, ils vont voir celui que Vadim appelle son bailli pour lui parler un peu. L’homme est une brute toute en muscles et en barbe, copie conforme de ses hommes qui toisent le groupe lorsqu’il rentre dans l’auberge. Le bailli s’appelle Einaris et écoute attentivement le récit de ses visiteurs. Il leur explique qu’il a beaucoup à faire avec les attaques de pictes et la guerre latente qui oppose son village à celui de Rabalet. Les deux clans s’affrontent depuis des décades pour le contrôle du péage d’un pont, seul passage vers les vallées au printemps et chemin prisé par bon nombre de marchands et de voyageur pour rallier le nord cimmérien aux cités franches d’Ithaque.
Concernant Auris, ils vont ensemble constater la prédiction du sorcier. L’homme a bel et bien été tué chez lui d’un coup d’épée bien net de haut en bas et de droite à gauche. Einaris choisit alors d’embaucher et d’équiper ces voyageurs désireux de gagner leur croûte et de les équiper un peu. A charge pour eux de le tenir informer des mouvements du bourgmestre, outre incompétente et faible, tout en assurant la sécurité du village.
Ahxy propose de commencer par les cadavres volés au cimetière. Se servant de l’autorité du bourgmestre, il obtient l’autorisation pour son groupe d’occuper une maisonnette avec vue sur les tombes. Vadim le bourgmestre est ravi de leur recrutement par son bailli qu’il trouve très compétent. Voyant son clan en de si bonnes mains, il retourne à ses affaires.
Durant leur nuit de veille, Ahxy entend plus qu’il ne voit un des assistants du fossoyeur gratter la terre gelée pour en sortir le corps du voisin du forgeron qu’ils ont eux-même tué il y a quelques jours. Le gaillard charge son colis sur une brouette en bois et part à travers les arbres. Ahxy le suit en silence pendant plus d’une heure avant de le voir arriver près d’une tente faite de peau et de bouts de bois contenant cinq mercenaires en armures. Le cimmérien leur remet le cadavre ainsi qu’un morceau d’or. Ahxy décide de retourner rapidement au village, quite à laisser des traces de son passage, et d’en faire un peu le tour afin qu’on ne remonte pas jusqu’à leur cachette.
Une fois tout le monde informé des événements, le groupe décide d’aller attendre le jeune homme chez lui, visiblement, il y est déjà passé et a dû réveiller sa femme qui est en train de coudre en pleine nuit. Birshan décide d’escalader la demeure pour s’assurer de l’absence de leur cible et la constate sans difficulté. Il se rend donc directement chez Einaris le balli et aperçoit de la lumière sortant de sa chaumière. S’approchant en silence, il voit par la fenêtre crasseuse Einaris en train d’essuyer sa lame au-dessus du cadavre du garçon qu’il espérait trouver. Se faisant discret, il voit le bailli sortir le corps sans vie et aller chercher trois de ses compagnons.
Birshan en profite pour examiner le corps et s’aperçoit que la blessure ressemble étrangement à celle observée sur Auris, la sentinelle survivante du convoi attaqué. Probablement la botte spéciale d’Einaris…
Malheureusement, le voleur s’attarde un peu trop et se fait surprendre par le retour d’Einaris. Il n’a d’autre solution que d’aller se cacher dans la maison du bailli. Là, il surprend la femme de ce dernier en train de nettoyer la mare de sang qui couvre le sol et les murs. Profitant de sa stupeur, Birshan se rue sur la femme, l’étrangle d’une main et la poignarde de l’autre. Sans demander son reste, il prend la fuite par une fenêtre.
Couvert du sang de sa victime, il fait un rapide rapport à ses amis en précisant qu’il a entendu le bailli parler d’aller enterrer le jeune homme à la place du cadavre qu’il a convoyé dans la forêt.
Ils décident donc d’aller expliquer au bourgmestre la situation et le chef du clan se rend avec une douzaine de ses hommes au cimetière pour intercepter son bailli et obtenir des réponses. Une fois face à ses accusateurs, Einaris ne se démonte pas. Il explique que le garçon était un voleur, qu’il s’est introduit chez lui pour voler les barrettes d’or dont il a la garde et qu’il l’a coupé en deux comme sa fonction le lui ordonne.
Mais Ahxy parle de son voyage nocturne et de sa rencontre avec les mercenaires dans un camp de fortune. Einaris décide alors de montrer sa bonne foi en allant avec un groupe d’hommes à la rencontre de ces mercenaires. Ahxi sera leur guide. Pour éviter de se retrouver en posture défavorable en cas de trahison du bailli, il demande à ce que quelques hommes du bourgmestre viennent avec eux.
Après un voyage d’une heure dans le froid, ils arrivent en vue du campement recherché. Birshan se propose d’abattre la sentinelle d’une flèche bien placée mais rencontre l’épée à deux mains d’Einaris. Ce dernier ne pouvait d’avantage cacher son jeu et surprend le voleur d’un coup terrible qui manque de le tuer. Aussitôt, c’est la mêlée. Les mercenaires et les hommes du bailli se mettent à massacrer ceux du bourgmestre. Ahxy et Azlan se ruent au secours des agressés tandis que Birshan prend la fuite et que Titi se transforme en serpent géant.
Le combat tourne mal. Les hommes du bourgmestre sont bien moins gaillards que leurs adversaires et rapidement, Titi et Azlan se retrouvent à terre. Seul Ahxy et quelques hommes font encore face. De son côté, Birshan croise la route d’une troupe menée par le bourgmestre lui-même. Le gros chef du clan encourage ses troupes en leur disant que les étrangers ont tué la femme du bailli et qu’il ne peut donc qu’être innocent. Comprenant que la situation est désespérée, Birshan s’enfuit à toutes jambes dans la nuit.
Ahxy fuit à son tour et tente de convaincre le bourgmestre qu’il rencontre à son tour. L’homme est dubitatif et ne peut que lui conseiller de fuir et de laisser le clan gérer cette affaire. Choisissant la prudence, il court à son tour dans la forêt enneigée.
Quand l’aube point à l’horizon, Titi et Azlan ouvrent douloureusement les yeux. Ils sont dans un marais glacial, totalement nus, les poignets entravés et pendus par les pieds à une vielle souche pourrie. A quelques mètres d’eux, deux des mercenaires sont en train de jouer leurs affaires aux dés.
De son côté, Birshan vient de retrouver Ahxy, son camarade d’infortune. Ils sont seuls dans la neige et viennent de perdre la moitié de leurs camarades. Ils n’ont ni vivre, ni plan de secours.
Décidément, Birshan se dit qu’il est un sabathéen bien malchanceux.